• Quand tout fout l'camp

    Au foyer de Bellevue, il y a un monsieur qui se réveille régulièrement en ayant tout oublié.

    Il se balade toute la journée dans les couloirs, ne sait pas si on est le matin ou l'après-midi, s'il a déjà mangé ou pas. Et il raconte à qui veut l'entendre: "Ce matin je me suis réveillé et pouf! Tout avait disparu. J'ai perdu la mémoire, je me souviens plus de rien. ... Vous savez quel âge j'ai? J'ai 165 ans. Si si."
    Evidemment, cette conversation peut avoir lieu plusieurs fois dans la journée avec le même interlocuteur.

    Ca m'a fait me questionner, of course.
    Quand on se réveille le matin et qu'on ne se souvient plus de rien, qu'est-ce qu'il nous reste? Ca doit être tellement perturbant, de ne plus savoir ce qu'on a fait de sa vie. Perte d'identité, au final. Ne même plus savoir si on a des enfants, dans quelle ville on a grandi, quel métier on a fait... Mais qu'est-ce qu'il nous reste???
    On pourrait se dire, il nous reste à profiter du présent. Vivre pleinement une journée banale, comme si c'était la seule journée qui se détache de l'éternité du temps, en accomplissant tous les petis gestes insignifiants en leur consacrant toute son attention. Mais même cette attitude découle d'une certaine réflexion, qu'il a fallu faire mûrir pendant un certain temps, et donc si on recommence tout à zéro un matin on n'est pas vraiment dans cette optique.
    Il nous reste tout de même le corps. Physiquement, on est là. Ce n'est qu'une part de l'identité, mais ça reste à mon sens une part non négligeable (en tout cas, ça nous donne une preuve concrète de notre existence matérielle, c'est déjà ça de pris). Oui mais le corps, à 85 ans (ouais parce que les 165 on n'y est pas encore hein), c'est pas ce qu'il y a de plus performant. A vingt ans on peut se dire qu'on a de quoi repartir, se faire une nouvelle vie; à 85 ans on a juste tout perdu.
    Peut-être, un jour, je me mettrai à écrire mes mémoires. J'aime aussi l'idée du journal intime, et du blog, ça laisse une trace de pleins de petits moments du quotidien qui ne seront peut-être pas ensevelis sous l'oubli.

     

    Pour compléter, deux extraits:

    - Extrait du livre "Antéchrista", de Amélie Nothomb:
    "J'avais seize ans. Je ne possédais rien, ni biens matériels ni comfort spirituel. Je n'avais pas d'ami, pas d'amour, je n'avais rien vécu. Je n'avais pas d'idée, je n'étais pas sûre d'avoir une âme. Mon corps, c'était tout ce que j'avais."
    Commentaire: ça me conforte dans la pensée que notre corps physique est une réalité irréductible.

    - Extrait d'une chanson, "Il resto va da sè" de Lorenzo Giovanotti (traduit ^^):
    Un jour j'ai vu un homme qui lisait à l'envers, je lui ai demandé 'Scuse moi mais qu'est-ce que tu fais?' Il m'a dit "j'ai lu des livres pendant toute ma vie, et maintenant je les efface, je les relis tous à l'envers, en oubliant ce que je sais. Et après je garderai ce qui me reste, le reste va de soi je sais pas moi."

     


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